Élégie à Michel-Ange

Élégie à Michel-Ange

Aux yeux de Michel-Ange, sa carrière ne fut qu’une suite d’échecs – œuvres manquées, inachevées ou détruites. Au fil de sa correspondance, il ne cesse de maudire un travail qui le condamne à la solitude et l’empêche de vivre. Et ce ne sera qu’à l’approche de ses soixante ans qu’une explosion affective viendra l’arracher à son œuvre : le vieil homme, alors, se consumera pour des jeunes gens qui se refuseront à lui – ou l’utiliseront. Et quand il se remettra à la tâche, s’épuisant jusqu’à son dernier souffle sur le chantier de Saint‑Pierre, ce sera comme un mort vivant.

Comme si, par son labeur acharné, ce personnage torturé, impossible, et brûlant, n’avait fait que rechercher, vainement, l’amour des hommes ou de Dieu.

Entre mythe et réalité, lyrisme et méditation, ponctuée par ses poésies et ses œuvres de pierre (photographiées par Marie-Françoise Plissart), sa vie se livre ici telle que l’aurait racontée son dernier amour.


Extrait : 

La pierre je ne l’ai que trop travaillée – quand mon âme, elle, est restée en friche ; or,

Il n’est de pire perte que celle du temps ;
Si près de la mort, et si loin de Dieu,
Ni peindre ni sculpter ne peuvent plus m’apaiser.

Du temps, d’ailleurs, me serait‑il encore accordé, que je le passerais à reproduire mes erreurs. N’ai‑je pas toujours été pierre qui roule sans amasser de mousse, regardez donc, mon Dieu, comme mes mains sont vides – mais peut‑on prier les mains pleines, et doit-on avec Vous s’encombrer de gants ? D’avoir tellement sculpté, moi j’ai les mains trouées, assurément, mais qui pourrait mieux Vous toucher qu’un crucifié, mes statues sans doute n’étant que stations sur un chemin de croix ; certes je les envie, ceux qui se vouent à œuvres plus obscures, et prennent sur eux la souffrance du monde, certes j’aurais rêvé de devenir un saint – mais ce ne fut pas ma part, moi je fus mis à la traîne des anges, or si les saints sont faits pour servir, les anges ne savent que chanter – mes chants à moi, bien sûr, ne furent que de pierre, mais si l’un d’eux a jamais pu Vous plaire, mon Dieu, je n’aurai pas vécu complètement en vain.