Élégie à Michel-Ange (extrait)

La pierre je ne l’ai que trop travaillée – quand mon âme, elle, est restée en friche ; or,

Il n’est de pire perte que celle du temps ;
Si près de la mort, et si loin de Dieu,
Ni peindre ni sculpter ne peuvent plus m’apaiser.

Du temps, d’ailleurs, me serait‑il encore accordé, que je le passerais à reproduire mes erreurs. N’ai‑je pas toujours été pierre qui roule sans amasser de mousse, regardez donc, mon Dieu, comme mes mains sont vides – mais peut‑on prier les mains pleines, et doit-on avec Vous s’encombrer de gants ? D’avoir tellement sculpté, moi j’ai les mains trouées, assurément, mais qui pourrait mieux Vous toucher qu’un crucifié, mes statues sans doute n’étant que stations sur un chemin de croix ; certes je les envie, ceux qui se vouent à œuvres plus obscures, et prennent sur eux la souffrance du monde, certes j’aurais rêvé de devenir un saint – mais ce ne fut pas ma part, moi je fus mis à la traîne des anges, or si les saints sont faits pour servir, les anges ne savent que chanter – mes chants à moi, bien sûr, ne furent que de pierre, mais si l’un d’eux a jamais pu Vous plaire, mon Dieu, je n’aurai pas vécu complètement en vain.

Retour