Addiction et reliances (extrait)

S’ils craignent de ne pouvoir aimer, c’est de ne pas avoir été assez aimés, et du coup de ne pas s’aimer ; ou alors d’avoir trop souffert, d’avoir été trop souvent déçus, de s’être sentis trahis par la vie ; ou simplement d’être trop vieux. Ils ne se sentent plus capables d’y croire, ils pensent n’avoir rien à donner – comme Z., se considérant « égoïste » et « non recevable ». Ou alors ils ont peur de ne pouvoir que faire mal à ceux qu’ils aimeraient.

Puis ils arrivent à reconnaître qu’un manque d’amour peut se retourner en attention particulière à ceux qu’on aime : lorsque A. est à l’hôpital psychiatrique, à ceux qui lui semblent en plus grande détresse que lui, il s’efforce d’offrir les « câlins qu’il n’a pas reçus », et d’écouter, là où il ne fut pas entendu. B., lui, repensant à l’époque où il était en prison, se souvient qu’au début, il étouffait de haine, et puis qu’avec le temps, celle-ci s’est transformée en « grand amour ». Et lorsqu’à un groupe je demande aux participants si une parole, un jour, a changé leur vie, C. aussitôt évoque ce « je t’aime » qui dans les contes métamorphose les monstres en princes charmants.

Simultanément l’amour lui-même se transforme. Celui que d’abord ils cherchent, c’est cette fusion par laquelle deux êtres – amants, amis, ou de même famille – n’en font plus qu’un. Puis à mesure qu’ils cessent de vouloir s’abîmer en l’autre, à mesure qu’ils intègrent une part de solitude, à mesure même qu’ils y prennent goût, comme à la liberté, ils évoluent vers un amour plus respectueux des différences et de l’altérité – puisqu’en effet c’est elle, fondamentalement, qui fait peur : quand D. dit préférer l’amitié à l’amour, c’est dans la mesure où en ce dernier, selon lui, il y a « trop d’altérité ». Or pour qu’elle cesse de sembler écrasante, pour que la relation n’apparaisse plus seulement comme une asymétrie où l’autre donne à un moi qui reçoit, il s’agit que celui-ci éprouve également sa capacité de donner. Ce qui peut se produire à l’occasion d’une psychothérapie, si comme y invite Harold Searles, le psy accueille la « tendance thérapeutique » présente en tout individu, et jusque-là frustrée en son patient – s’il accepte, donc, que la relation thérapeutique soit échange. Ainsi E., qui selon lui, à ne faire que recevoir, était muré dans l’égoïsme, et pour en sortir ne voyait comme issue que le « bénévolat », prit peu à peu conscience qu’à moi comme à d’autres il pouvait apporter quelque chose, et non seulement par ce qu’il faisait, mais par ce qu’il était.

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