Et puis il faudra faire deuil, de chaque souvenir, ne pas tomber en pleurs à chaque relent de bonheur, apprivoiser, pas à pas, ma mémoire, revisiter tantôt le port d’Alexandrie, tantôt les rives du Nil, m’aventurer jusqu’à notre île, où il ne m’a pas épousée – mais tu vois, Bérénice, tu vas trop vite, avant même d’atteindre le Nil tu vas te noyer dans tes larmes, il te faut faire comme Isis, récolter les morceaux, un à un, du cadavre de ton amour, et à chacun élever un tombeau, un hymne de parfums, de myrrhe, de résine, de cardamome, et surtout de patience, cette fragile plante qui dépérit si c’est de larmes qu’on l’arrose, il te faut l’embaumer, ton amour, lui restituer ses odeurs et le rendre éternel, et dans ses baumes guérir tes propres plaies, il te faut, comme cette veuve que tu vis à Memphis, penchée sur la chair verdâtre de son époux et la couvrant de fleurs, il te faut revoir sous l’horreur la beauté.