Le sourire de Bérénice

Le sourire de Bérénice

En l’histoire de celle qui inspira Racine, la réalité excède la fiction : descendante de ces Hérodes qu’évoquent les Évangiles, épouse de son oncle et maîtresse de son frère, puis du Romain qui saccagea Jérusalem, cette princesse juive fut d’emblée objet de scandale. De treize ans plus âgée que son amant Titus, voyageant avec lui des mythes de l’Égypte aux fastes de Pompéi, emmenée à Rome pour y être épousée, puis répudiée sous les pressions de ses ennemis, Bérénice, après plusieurs années de pleurs, revint à Titus, lorsque celui‑ci devint empereur – et il ne daigna pas seulement la recevoir. D’elle on ne sait alors plus rien, sinon qu’elle mourut juste après cette trahison, l’année même où le Vésuve entra en éruption – pour la venger, peut‑être, ou la tuer.

Mais sur les cendres de la grande Histoire, s’élève ici le chant d’un petit scribe égyptien, restituant les souffrances et les joies de la princesse qu’il aima.


Extrait : 

Et puis il faudra faire deuil, de chaque souvenir, ne pas tomber en pleurs à chaque relent de bonheur, apprivoiser, pas à pas, ma mémoire, revisiter tantôt le port d’Alexandrie, tantôt les rives du Nil, m’aventurer jusqu’à notre île, où il ne m’a pas épousée – mais tu vois, Bérénice, tu vas trop vite, avant même d’atteindre le Nil tu vas te noyer dans tes larmes, il te faut faire comme Isis, récolter les morceaux, un à un, du cadavre de ton amour, et à chacun élever un tombeau, un hymne de parfums, de myrrhe, de résine, de cardamome, et surtout de patience, cette fragile plante qui dépérit si c’est de larmes qu’on l’arrose, il te faut l’embaumer, ton amour, lui restituer ses odeurs et le rendre éternel, et dans ses baumes guérir tes propres plaies, il te faut, comme cette veuve que tu vis à Memphis, penchée sur la chair verdâtre de son époux et la couvrant de fleurs, il te faut revoir sous l’horreur la beauté.