Chardin et le lièvre

Chardin et le lièvre

Devant ce petit corps presqu’encore chaud, et frémissant, j’eus l’impression d’avoir tué, une seconde fois, le lapin de mes six ans. Il fallait maintenant tenter de me racheter. Le reste de ma vie, je le consacrerais à peindre des lièvres. Des lièvres morts, Monsieur le métaphysicien, à qui votre métaphysique retire jusqu’à l’âme, pour ne leur laisser qu’une charogne. Or les peintres animaliers veulent bien représenter des lapins, mais s’ils gambadent, s’ils remplissent les coins de verdure dont on ne sait que faire, et répandent à la Cour un parfum de nature. Mais les autres, les morts, qu’on les mange, et qu’on n’en parle plus. A moins qu’on ne les présente sur un plateau d’argent, des airelles sur la tête et du persil dans les oreilles, comme s’ils frétillaient du plaisir d’être là, et d’exciter l’appétit de ces mangeurs étranges, qui se nourrissent de tableaux.