Narrateurs et voix comme supports de l’écriture dans ma propre expérience

A l’époque où j’écrivais des « vies », l’écriture découlait pour moi d’expériences théâtrales (surtout d’interprétation) et cinématographiques (d’écriture et de réalisation.) Généralement j’écrivais en me mettant dans la peau d’un personnage, qu’inversement je nourrissais de mes propres émotions. Le monologue devenait donc une sorte de dialogue secret, et écrire revenait à jouer, au sens le plus fort, c’est-à-dire à vivre. Souvent je m’apercevais d’étranges identifications à mes « narrateurs », qui m’imposaient leurs humeurs sombres ou leurs joies. C’était encore plus évident lorsqu’il s’agissait de personnages qui avaient réellement existé, et je me plaisais alors à l’illusion de les ressusciter, comme Michelet rêvait de rendre vie aux morts. Les biographies sont un aliment de premier ordre pour ceux qui, comme moi, ont moins d’imagination que de capacité à ressentir. Mais même quand il s’agissait de personnages fictifs, je finissais par croire à la réalité de leur existence – les fantômes créés par l’esprit rejoignant ceux des morts.
Ainsi la solitude extrême qu’exige l’écriture se peuplait-elle de « doubles », dont j’avais l’impression, finalement, qu’ils écrivaient à ma place, mon rôle se bornant à prendre note de ce qu’ils me dictaient. Voilà pourquoi, dans cette phase-là de mon écriture, la voix, et une certaine oralité, étaient-elles essentielles dans ce que je faisais. J’ai besoin d’entendre ce qui s’écrivait, et étais particulièrement sensible à ce qui rapproche la langue de la musique, ou les phrases de vers. Souvent je comptais les pieds, sans même m’en rendre compte, et cherchais un équilibre qui ne se situait pas loin d’octosyllabes ou d’alexandrins.
(extrait d’une interview)

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