Autobiographies du bouddhiste
C’est dans un groupe de méditants bouddhistes que je l’ai rencontré. Il approchait des soixante-dix ans et méditait depuis une trentaine d’années. Selon lui c’était de ce côté-là, le ramenant « aux sensations et au corps », que se situait « la vérité ». Le langage pour lui s’apparentait aux mensonges sociaux ou à la rumination stérile. Mais parallèlement à sa recherche spirituelle, qui avait en partie « canalisé » son corps, une sexualité débordante lui avait créé des secrets que par l’écriture il voulait maintenant lever – pour faire connaître sa vraie vie à ses proches. Cela faisait plus de vingt ans qu’il écrivait, mais sans jamais arriver à la parole authentique qu’il visait. Ce fut pour l’atteindre qu’il me sollicita.
Très vite, il apparut que l’enjeu de cette écriture nouvelle était d’abolir le clivage qui existait entre son corps et son esprit. Il commençait à percevoir que c’était la même énergie qui animait sa méditation et sa vie érotique – comme le lui avait dit, bien des années plus tôt, son maître zen. Cependant l’écriture lui semblait du côté de ce qui, comme la sexualité, menaçait la paix qu’il s’était créée par la méditation. Cette paix il ne la trouvait que dans le silence. Mais au fil de nos échanges, il apparut que son silence s’apparentait à des souffrances indicibles – dont certaines s’étaient transformées en maux du corps. Il se sentait un « handicapé de l’expression », et prenait conscience de la solitude où cela le maintenait. Dans nos dialogues pourtant, il commençait à parler vraiment de lui – et à entrevoir par là une écriture qui ne s’opposerait plus au silence, mais s’ancrerait en lui: « il faut que je reconstruise un langage qui n’existe pas ».
C’est à cela qu’il se mit. Les textes qui suivirent touchaient à ce qu’il vivait de plus intime et de plus singulier, y compris dans la méditation. Puis s’esquissa le projet d’un récit qui articulerait son parcours spirituel et l’histoire de sa sexualité. Désormais il n’écrirait plus seulement pour ses proches, pour leur faire un aveu, dans les limites et les contraintes d’une telle adresse, mais dans l’élan d’une nécessité intérieure qui se confondait avec une nouvelle liberté. Et il commença à sentir que l’écriture d’une vie peut s’apparenter à l’invention d’un roman.
(extrait de La Parole comme voie spirituelle, Le Seuil 2023)