Orientations thérapeutiques

© Mâ Thévenin

Si, en termes académiques, je suis « psychologue clinicienne », je ne me retrouve pas exactement dans ce titre, trop connoté de savoir et de conseil. Je préfère donc me dire simplement « psy », ce terme-là renvoyant à la « psuchè » des Grecs, l’«âme» au sens de ce qui nous rend vivant, le souffle, indéfinissable, qui nous anime.

Par ailleurs, si étant moi-même passée, très jeune, par une longue psychanalyse, je n’ai pas voulu devenir analyste, c’est que tout en reconnaissant la valeur de cette approche, j’ai d’emblée ressenti vis-à-vis d’elle une distance critique. Certes par rapport à d’autres courants thérapeutiques, elle a le mérite d’envisager le sujet dans sa complexité. Mais elle me laissait insatisfaite, essentiellement pour deux raisons : d’abord parce qu’il ne suffit pas de «prendre conscience » d’un mécanisme pour s’en affranchir, et puis parce qu’à seulement creuser le passé, on risque de s’y enliser plutôt que de s’en dégager. En fait la psychanalyse elle-même ne me paraissait pas assez dégagée d’un certain déterminisme, selon lequel on est conditionné, à vie, par le passé, en particulier la petite enfance. Or il me semble que tout au long de l’existence on peut, vraiment, se transformer au-delà du prévisible – la vie ayant des ressources infinies pour nous étonner. En particulier les rencontres, quelles qu’elles soient. Parfois, celle d’un psy. Qu’est-ce qu’une thérapie, sinon une relation qui nous métamorphose ? Une relation véritable, entre deux singularités, et non pas seulement un «transfert» des liens du passé.

Ne voulant donc pas devenir psychanalyste, si je décidai, à trente-cinq ans, de devenir psychologue, ce fut au départ avec le projet de travailler avec l’aide d’animaux. En effet la rencontre d’un chien avait transformé ma vie, en me faisant éprouver tout ce qu’un animal peut nous apporter d’autre qu’un humain. Et ce qu’ainsi j’avais reçu, j’avais envie de le transmettre à d’autres.

Or tandis que j’élaborais un projet de lieu thérapeutique, où pourraient cohabiter humains en difficulté et animaux, je me mis à travailler avec des personnes alcooliques ou toxicomanes. J’y appris ce qu’une relation à visée thérapeutique sollicite d’engagement, d’attention aux particularités de chacun, et de créativité. Lorsque quelqu’un venait me raconter son histoire, il s’agissait moins de l’analyser que d’en inventer de nouvelles lectures, qui lui permettaient de changer, parfois radicalement, le cours de son existence. Et là où il y avait une impression d’impasse, il s’agissait d’y ouvrir du possible. Bientôt, mon travail de psy ne me parut plus très éloigné de mon travail d’écrivain. Par contre il me semblait de plus en plus distant d’un abord médical, qui tendrait à ramener quelqu’un à une santé définie comme une norme. C’était dans leurs singularités, leurs bizarreries mêmes, que mes patients trouvaient des leviers pour se sortir de leurs souffrances. Il s’agissait moins de «réparer» – tout retour à un état antérieur, souvent idéalisé, se révélant illusoire –, que de «bricoler», de nouveaux équilibres toujours à réinventer.

Pour moi aussi vint le moment où je sentis la nécessité d’évoluer. J’avais envie de me confronter à d’autres questions que les addictions, de rencontrer d’autres mondes, peut-être plus proches du mien, pour tenter d’offrir ce qui m’est le plus propre. Je décidai donc d’ouvrir un cabinet privé, à Montpellier où je venais d’arriver. Depuis, je rencontre en effet des personnes qui m’ont choisie en fonction de mes orientations et de mon parcours, et peux davantage tirer parti de ce que celui-ci a de spécifique, entre philosophie et pratiques artistiques. Parmi ceux qui viennent à moi, certains sont également artistes ou aspirent à écrire. Le travail psychothérapeutique, alors, à certains moments, rejoint la recherche esthétique. Plus que jamais j’éprouve que la tâche d’un psy, par la finesse, la justesse qu’elle exige, se rapproche de celle de la dentellière ou du musicien. Et toujours davantage je constate que l’attention prêtée aux rêves, lorsqu’on les écoute dans toute leur portée, peut considérablement assouplir et enrichir notre personnalité.

Cela étant, au fil des années, mon intérêt pour les animaux s’est élargi à nos relations avec le non-humain dans son ensemble, dont l’importance me paraît souvent négligée, en particulier par les psy. N’a-t-on pas de vrais liens avec une maison, un paysage, un arbre ? Et peut-on éviter de se demander, tôt ou tard, parfois face à la mort, ce qui nous relie au reste du cosmos ? Une «reliance» de cet ordre, quelle que soit sa forme, me semble de plus en plus fondamentale en regard de la solitude dont chacun, tôt ou tard aussi, fait l’épreuve dans sa vie. Selon qu’on se sent ou non relié au monde, la solitude peut être vécue comme fermeture mortifère ou comme espace de rencontre. Le processus thérapeutique, dès lors, m’apparaît de plus en plus comme un tissage de liens, où à partir d’une relation à un psy, peuvent s’en créer d’autres – à des humains, à un environnement, ou à l’univers.

Cette perspective a été nourrie par mon intérêt croissant pour les pensées orientales, de l’Inde au Japon, où cette idée d’interconnexion est prédominante. Elle y va de pair avec la quête d’un point de vue « élargi », dépassant l’anthropocentrisme comme l’égocentrisme, et ouvrant à ce qui en nous est plus vaste que nous. Or la démarche psychothérapeutique me semble bien quelquefois rejoindre un cheminement spirituel, où au-delà de la rationalité, l’esprit s’ouvre à ce qui le dépasse.


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