La parole comme voie spirituelle (extrait)

De fait, selon la perspective indienne, ce que propage la résonance, c’est le ravissement, le rasa – si étroitement lié à elle qu’il en devient parfois synonyme. Le rasa, c’est l’enchantement, mais aussi le suc, la sève, le jus du fruit qui se répand dans la bouche ; c’est le goût, la saveur – et comme le plus sensuel, en Inde, ne se dissocie pas du plus spirituel, c’est aussi la saveur esthétique et mystique. Dans le tantrisme, toute jouissance sensorielle, fût-ce la plus élémentaire, comme boire ou manger, la plus infime, comme respirer un parfum, peut aboutir à la béatitude où c’est l’absolu qu’on savoure – ananda. Et en celui qui se délecte de musique, « les préoccupations touchant à ce qui est bon ou mauvais sont oubliées » : à nouveau l’esthétique suppose le dépassement de l’éthique.

Le rasa c’est l’essentiel, ou l’essence. L’alchimie, qui transforme les essences, s’appelle en sanskrit le rasyana, l’art du rasa, et le rasa par excellence y est le vif-argent mercuriel. Du reste le rasa c’est ce qui coule, fluide, comme la musique, ce qui déborde du cœur du musicien vers celui qui l’écoute, faisant fondre par sa beauté ce qui en nos cœurs a durci, nos « cuirasses » intérieures dit Abhinavagupa. Le rasa c’est ce qui fait sortir de soi, en cela pareil à l’extase amoureuse. Il n’existe que par la relation, surgit entre la musique et son interprète, entre celui-ci et son auditeur. Si le yoga, même lorsqu’on est avec d’autres, se pratique seul, le rasa ne peut que circuler entre les êtres. Et en sortant d’eux-mêmes, par lui ils atteignent l’absolu.

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